miércoles, 3 de diciembre de 2008

La plage

Par Camille Gobart

L’aube dehors chante un chant sans paroles ni musique. Le chant se fait silence, un silence qui s’écoute se taire et reprendre, un silence fébrile et passager, urbain. Orphée sans brusquerie se lève, attiré par la lumière naturelle rongeant doucement son corps antédiluvien. Il s’approche de la fenêtre de sa cabane, et, observant le sommeil posé sur toute chose, hume la calme aurore. On entre avec lui secrètement dans les jardins endormis, on palpe l´écorce et les feuilles, parfums et couleurs vierges. Tout semble arrêté, le temps n’est plus. Sur l’herbe encore humide de rosée, Orphée s’accroupit. Il inhale fortement puis dépose une offrande généreuse après une longue gestation. Les pieds au bord de l’aube, le regard perdu, il chie, un journal de la veille à la main. Aujourd’hui, comme hier, je chanterai plus tard, songe-t-il, quand cela me chantera, pour le moment dormons un peu.

Une sombre machine se met en marche et l’ôte des bras de Morphée. Sur le banc d’en face, un couple vorace se couvre de baisers, tandis que le gazon du parc reçoit, sans broncher, sa tonte matinale. Ses paupières se balancent sur le ciel aimable, un réveil lent s’empare de ses sens engourdis. Midi claironne. La ville, submergée de mouvements circulaires, fuse mollement. Orphée, magnétisé par les axes principaux, marche dans les rues commerçantes, flâne à vive allure, comme tout le monde, de marchés en parcs, de parcs en églises. Il croise des statues inconnues d’hommes célèbres au regard tantôt de biais, tantôt de braise, dans ce vaste panthéon envahi par les transports en communs petits et grands, unicolores et bariolés, s’emboîtant parfaitement le temps d’un troc.

Il scrute l’avenue habitée par les arbres que dépassent des amas de pierres normalisés, à la recherche d’un bar réparateur. « Chez Tantale ». Il commande une bière et remarque rapidement cette belle brune se dandinant sur la piste au sous-sol, exhibant dans les miroirs l’entre-deux de ses incisives supérieures pénétré par sa langue, du bout sournois et lilas. Elle porte une tenue d’été torride qui expose à merveille son cul de déesse, saillant et soigné. Orphée regarde se déployer devant lui une forme absolue qui s’approche avec morgue. « Eh ! Toi tu me connais » lui dit-il, en passant le bras autour de sa taille. Une fois dehors, il se met à chanter sur la perte de son amante et séduit tout le monde alentour : piétons et marchands, agents et videurs se surprennent à siffloter l’air esquissé. Un conglomérat d’admirateurs échauffés par la boisson se forme et couvre avec cris et hurlements les mélodies du poète en haillons. Les sonneries de téléphone et leurs communications, les sirènes éparses au loin, les transistors nasillards et les klaxons abrupts, accompagnent le chanteur sur le chemin qui mène à l’avenue principale.

Haussé sur son caisson, il se poudre et prépare sa perruque. A mesure que de sa lyre retentissent les cordes, les passants lui lancent des projectiles brillants qui souvent ricochent et l’interrompent. Un automne plaintif s’improvise, le vent même se met à imiter le sanglot, les oiseaux se jettent sur les gens, la mer suspend ses ressacs, la lyre s’arrête et chancelle sous la pression diminuée des doigts déjà froids du chanteur qui ne s’élèveront plus pour recoiffer sa perruque, ses yeux ne cligneront plus pour se reposer, le cuivre a recouvert tous ses membres. La foule stupéfaite eut récupéré la si précieuse lyre s’il ne lui avait poussé des racines la retenant au sol : la multitude de mains qui applaudissaient encore il n’y a qu’un instant, s’est transformée en branches. Elles conservent pour toujours l’empreinte du geste perfide d’admiration. Le long de la grande avenue, sous le regard impassible des réverbères, des visages de bois font figure de statue pour quelques pennys.

1 comentario:

R.P.M. dijo...

Impresionante mosáico de figuras mitológicas urbanizadas. Me ha encantado.