miércoles, 12 de diciembre de 2007

Les Rouquart

Par Camille Gobart



C’était rue Avellaneda, un jour ou un autre. La réunion eut lieu chez un ami mien que j’ai perdu de vue, tout comme le petit cercle d’écrivains que je fréquentais à l’époque. J’y vis pour la première fois – et la seule, il me semble – un homme de lettres vraisemblablement très européen, à l’esprit fantasque et un peu dandy, de taille moyenne et la coiffe mi-aztèque mi-scandinave, qui, sur un ton mi-figue mi-raisin, projetait, avec ses paroles volubiles, ses œuvres littéraires imaginatives sur l’écran de nos pensées.
J’ai gardé un souvenir particulièrement précis d’une de ces œuvres, celle-ci consistait à réécrire la célèbre Histoire naturelle d’une famille sous le Second Empire d’Emile Zola. En effet, notre compagnon d’alors (Raimundo était peut-être son prénom ?) s’était proposé, plein de sa coutumière arrogance, de réduire à deux phrases les vingt romans que constituent le chef-d’œuvre du naturalisme ; c’était, pour le coup, passer de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de l’ample digression au plus succinct récit, vingt années d’empire contenues dans un seul paragraphe, d’une dimension l’autre. Heureusement, il n’avait pas osé s’attaquer au grand Hugo, l’affront d’une telle turlupinade eut d’ailleurs été par trop immérité, car pour le visionnaire, chaque journée du naissant empire, meurtrière, devait être insultée et dénoncée sous les coups de la lucidité ; chaque vie occise méritait son témoignage, chaque heure sanguinaire son chapitre, chaque minute d’opprobre son paragraphe, chaque seconde de douleur sa phrase. L’œuvre poétique n’étant plus assez forte et les planches insuffisantes, l’ancien député eut aiguisé sa plume pour signer écrasons l’infâme
En fait, il s’agissait tout simplement de prendre la première phrase du premier roman de la série puis la dernière du dernier, et de les unir dans une même page, ajoutant pour cela un certain nombre de mots de son propre cru, transition qui puisse adéquatement relier les deux phrases tirées de leur contexte, faire subir ensuite l’amputation au titre et au sous-titre, et le tour était joué ! 
Le texte qui suit (où j’insère des mots de liaison différents, sans doute, des originaux) devrait s’approcher un tant soit peu de l’œuvre sui generis de Raimundo (quel était son nom ?) :

LES ROUQUART 
Histoire Empire
Lorsqu’on sort de Plassans par la porte de Rome, située au sud de la ville, on trouve, à droite de la route de Nice, après avoir dépassé les premières maisons du faubourg, un terrain vague désigné dans le pays sous le nom d’aire St Mittre. A quelques lieues de là, dans le silence tiède, dans la paix solitaire de la salle de travail, Clothilde souriait à l’enfant qui tétait toujours, son petit bras en l’air, tout droit, dressé comme un drapeau d’appel à la vie. 

En cette mémorable soirée aux allures de salon littéraire, d’aucuns crièrent au scandale pendant qu’un autre pontifiait sur l’œuvre. Les mots apocryphes furent jugés audacieux, un débat non dénué d’intérêt sur la question de la ponctuation meubla même quelque peu l’analyse, fallait-il mettre un point ou un point-virgule entre les deux extraits ? ou ne rien entreposer, pas même un seul mot ? 
En somme, beaucoup de fadaises que, bienheureusement, l’oubli a emporté par-devers lui. 

1 comentario:

R.P.M. dijo...

Tres originel -pardon par mon mauvais français-. Une nouvelle façon de faire literature. Au revoire.